samedi 23 août 2008

les montres

Tous les instruments qui mesurent le temps, et les montres tout particulièrement, ont toujours eu une grande importance dans ma vie : horloge, pendule, sablier, chronomètre, cadran solaire, astrolabe, montre à gousset, montre bracelet. Une des clefs de ce mystérieux intérêt est peut-être que je suis du signe du Capricorne ce qui me met sous la gouvernance de Saturne, le Gardien du Temps. Conscience aïgue du temps qui passe, du temps écoulé, du temps présent, du temps qui reste... qu'importe, pourvu qu'on puisse mesurer le temps !

Dans ma famille, les montres ont leur place de marque. Mon grand-père paternel réparait pour son plaisir les montres et papa nous raconta comment ce père étudiait pour trouver un mécanisme de mouvement perpétuel avant l'heure. La montre de grand-père était une montre à gousset en argent et elle demeure l'un des trois objets précieux et intime qui nous reste de cet homme que je ne connus que quelques mois avant son décès. Quand grand-père mourut, sa montre s'arrêta net à l'heure exacte de son trépas et mes parents décidèrent de la garder figée à jamais à cette heure fatidique.

Quant à maman, elle déglingue toutes les montres en un temps record et je ne peux compter le nombre de montres qui finirent dans un tiroir détraquées ou bien à la poubelle pour avoir eu le mauvais sort d'appartenir quelque temps à ma mère.

Ma première montre, bien qu'elle fut en or, ne me plaisait pas tant que cela. Cadeau classique pour la communion solennelle, elle n'était pas mon style et il ne me fallut pas longtemps pour qu'elle s'arrête et que je la relègue parmi les objets inutiles, partiels ou mutilés que maman conserve précieusement dans ce fameux tiroir fourre-tout. Mon histoire avec les montres avait mal commencé et pendant longtemps, je choisis tout simplement de ne pas en porter.

Puis commença pour moi la valse des montres peu chères que je me choisis selon ma fantaisie ; je les aime voyantes, extravagantes même ou au minimum originales, de couleur vive ou avec un design particulier, voire unique. A partir de mes vingt ans, il me sembla avoir hérité de l'étrange don qu'a maman de les perturber jusqu'à l'arrêt final. Même si j'en prenais grand soin, la montre, au bout d'un certain temps, refusait de fonctionner. Et je pris donc l'habitude d'en changer souvent, contrainte et forcée par leur arrêt qui s'avérait souvent définitif. Je finis toutefois par remarquer que leur période de vie correspondait à un cycle de ma vie intérieure. Souvent chaque montre avait une durée de marche en relation étroite avec les sentiments que je portais à la personne qui me l'avait donnée ou avec qui j'étais en relation intime au moment où je l'avais acquise.

Par exemple, quand chez Nathalie ma montre bracelet en quartz liquide violet cassa net à une charnière, il ne me restait plus de doute qu'un cycle était révolu. Je l'avais achetée au début de ma liaison avec Peter et alors que nous étions aujourd'hui au bord de la rupture, cette montre me lâcha.

Nathalie qui avait vu l'incident, alla dans sa chambre et revint avec une montre swatch orange fluo qui ressemblait à un petit soleil et m'en fit cadeau. Ainsi j'appris à aimer regarder cette grosse montre, sa couleur tape à l'oeil et elle mesura avec diligence le temps qui passa.

Mais lorsque Nathalie rompit ses liens amicaux avec Willy qui était aussi mon ami, je sentis que ma relation avec Nathalie risquait le pire. D'ailleurs, c'est au moment où Willy me confiait au téléphone la raison de leur rupture que l'anneau qui cernait le boitier de la montre cassa net, sans raison, la rendant tout à fait irréparable. Sous l'influence psychique de la rupture de mes amis, cet objet tomba en morceaux ; et bien que par la suite je cherchais à recoller les bouts épars de nos sentiments, Nathalie devint impossible à joindre et j'acceptais en final de faire le deuil de notre courte amitié.

Une autre fois, à la veille de partir en voyage aux USA pour partager un temps précieux avec ma belle amie Dona, ma montre tomba net en arrêt. Inge qui voulait m'offrir un grigri symbolique de protection pour ce temps de vacances exceptionnelles, me donna, sans savoir que ma montre venait de casser, une montre ! Elle avait un beau bracelet de velours avec un joli pompon en soie noire. Cette montre mesura le temps de la joie de mes retrouvailles avec Dona, de nos rires, de nos longues interminables conversations, de nos larmes aussi. Sur le chemin du retour vers la France, le verre de cette montre tomba. Comme je ne m'en étais pas aperçue tout de suite, les aiguilles furent arrachées et je dus me résigner à jeter au fond de mon tiroir fourre-tout cet écran absurde, vide de sens, accroché à un bracelet devenu inutile. Fin des vacances !

L'année de mes quarante-neuf ans, j'achetai au Prisunic de Vence en urgence une petite montre bracelet métallique façon Rollex et bien qu'elle ne corresponde en rien à mon goût habituel, je trouvai cette montre sympathique et l'adoptai... pour un temps!

Mais quand arrivèrent mes cinquante ans, temps pour une initiation à une autre décade de ma vie, je reçus de mes amis toutes sortes de cadeaux... mais pas de montre ! Pourtant cela m'ennuyait de ne pas marquer cette étape symbolique par une nouvelle montre. Mais d'un autre côté, je n'avais pas envie d'en acheter une ; je voulais qu'elle vienne de quelqu'un de proche!

Seul espoir muet, restait Patricia, ma soeur, qui n'avait pas eu le temps de me voir pour célébrer mon anniversaire. Et bien que ce fut fin janvier, soit vingt jours après, nous finimes par nous mettre d'accord pour se voir dans un restaurant à Vence. Elle arriva, ravissante et enjouée et elle m'offrit deux petits paquets cadeaux violets. Dans le premier je découvris un luxueux foulard violet orné de sequins de la même couleur et un vernis à ongle mauve ; et dans un écrin que je pris pour une boite à parfum, ô surprise, il y avait une montre violette Kookaï. Vous ai-je dit que le violet est et demeure ma couleur fétiche ? Toujours est-il qu'au moment même où je sortis de son écrin cette petite merveille, me revint en mémoire le rêve de ma nuit précédente. I

Il ne me restait pas grand chose de ce songe nocturne mais par contre je me revis très nettement, vociférant et furieuse de devoir garder ma petite montre métallique façon Rollex ; et dans ce drôle de rêve, je pris cette montre innocente et la fracassais contre un mur, histoire d'en finir avec ma quarantaine et son cortège de mauvaises histoires d'amour à la noix!

Patricia trouva ce rêve intéressant et me raconta à son tour la difficulté qu'elle avait eu à me trouver un cadeau. En fait, la veille de se revoir, elle était allée à Cap 3000 qui offrait le choix d'une myriade de boutiques de toutes sortes et elle avait déambulé trois heures durant dans ce temple de la consommation... sans trouver un objet qui lui parlait. Contrariée par cette vaine escapade dans ce lieu marchand, elle avait dû se résigner à recommencer le lendemain à chercher quelque chose qui me conviendrait. Et juste avant de me rencontrer au restaurant, son attention fut heureusement captée par la vitrine d'un horloger bijoutier. Et parmi d'autres soeurs de diverses couleurs et formes, elle vit cette montre violette Kookaï qui lui sembla tout à fait parfaite pour mon anniversaire !

C'est ainsi qu'à partir de ce jour, ma montre violette mesura les battements d'un autre temps de vie dont j'espérais encore des bonheurs, de la créativité et surtout de la sérénité!!

A la veille de mes soixante ans, la sérénité est venue s'installer plus souvent dans ma vie ... si je regarde bien, toutes mes larmes, mes petites et grandes détresses, tous mes rires, mes amitiés, mes partages en valaient bien la peine ... le temps est devenu un ami ... passé , présent et futur ! il me conduira vers un au-delà qui ne me fait pas peur !! quand il sera temps de mourir, je ne pourrai que remercier pour tout le temps qui me fut donné de vivre sur terre!