jeudi 11 décembre 2008



L'intérêt de mes petites nouvelles tient au fait qu'elles sont tout à fait authentiques... bonne lecture !


MAGIE DE NOEL

Sa grande natte sel et poivre relevées en un chignon sage dans la nuque, Mrs Chun Yi Yinchuan dessinait sur le tableau noir de la classe les caractères chinois de la leçon du jour, nous assurant avec humour que le mandarin est une langue très facile à apprendre. Elle avait toujours le sourire pour nous encourager à assimiler ce qui nous paraissait impossible ; non seulement mémoriser les nombreux traits d'un caractère, ce qui n'était déjà pas une mince affaire, mais il fallait aussi les tracer dans un ordre précis sous peine de passer pour un illettré.

A vrai dire, en chinois, même avec les deux mille caractères que je finis par connaître à peu près, je restais une illetrée, parfaitement incapable de déchiffrer un simple article de journal. Mais qu'importe, c'est plaisir d'étudier qui fut ma récompense.

Au collège, ce jour-là fut un peu spécial : c'était le dernier cours avant les vacances scolaires de fin d'année et Mrs Yinchuan nous fit le cadeau de nous raconter une vraie histoire de Noël.

Alors qu'elle vivait son enfance à Harbin dans la Chine précommuniste, sa famille avait une immense inquiétude depuis des mois. En effet la santé de son petit frère An-An était la préoccupation de tout le monde dans ce palais.

Quand le docteur sortait de la chambre du petit garçon, il parlait souvent à voix basse à la mère de l'enfant et cela la faisait toujours pleurer.

La nounou russe de la petite Chun Yi qui avait neuf ans à cette époque, finit par attirer la petite vers un des grands salons de réception. Elle lui expliqua que son petit frère avait une grave maladie, une tuberculose osseuse pour tout dire. Si son genou qui suppurait depuis des mois ne guérissait pas rapidement, le chirurgien serait obligé de l'amputer de sa jambe pour lui sauver la vie.

Chun Yi fut très bouleversée par une telle menace sur la vie de An-An, et même si elle n'était pas en âge de comprendre la nature de ce mal qui le rongeait, elle avait bien deviné tout ce que signifiait cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de la fragile petite tête de son frère. Sa nounou se mit à genoux et enseigna à la petite une prière à Saint Nicolas, en lui enjoignant de la dire souvent avec tout son coeur pour faire demande de la guérison de An-An.

Cela se passait autour de Noël, un Noël qui ne serait célébré que par la nounou russe orthodoxe car elle était bien entendu la seule à donner sens à la naissance de Jésus, lui aussi un enfant.

Le dernier emplâtre qu'on avait mis sur le genou du petit malade suintait ce mal pernicieux et le petit restait allongé dans la pénombre de sa chambre rétrécie par le chagrin. Il souffrait sans mot, impuissant à maîtriser cette bête qui le rongeait depuis trop longtemps déjà. Chun Yi, dans la chambre voisine, gagnée par la transe de la prière, se remit à genoux et récita avec toutes les larmes de son petit coeur d'enfant la supplique à Saint Nicolas. Elle contemplait à travers l'eau de ses yeux éplorés l'image du Saint dans le cadre d'icône que la nounou avait placé sur sa table de chevet derrière la veilleuse en verre rouge. A la lumière dansante de cette flamme, porte ouverte vers le monde spirituel, la petite Chun Yi pria très longtemps comme on sait prier quand une foi pure et puissante habite notre être.

Le docteur devait revenir dans trois jours et si la plaie du genou n'était pas en voie de guérison, il emmènerait le petit garçon à l'hôpital pour qu'on procède à une chirurgie d'amputation devenue vitale.

La journée du lendemain s'écoula monotone dans l'ambiance devenue pesante d'angoisse et de murmures du palais de sa famille.

Chun Yi se fit aussi invisible que possible et éhappa même aux leçons du matin tant le remue-ménage feutré autour de An-An occupait tout le monde, des tantes aux oncles ainsi que la nombreuse domesticité qui cohabitait dans le palais. Chun Yi revint souvent se mettre à genoux devant l'icône de Saint Nicolas et s'abima dans une longue conversation avec cet homme qui aima et protégea les enfants en d'autres temps contre de grands malheurs.

La fièvre qui persistait à brûler le corps du peti An-An l'amena à un délire à la limite du coma et on le veilla jour et nuit jusqu'au jour fatidique où le médecin prendrait sa décision. L'issue était claire et le temps qui passait filait vers l'inéluctable amputation.
Chun Yi redoubla de prières, tellement elle était convaincue dans sa foi d'enfant que Saint Nicolas l'entendait, l'écoutait même et certaine qu'il prendrait pitié de son petit frère à présent condamné. Finalement, la veille de la visite du chirurgien, elle s'endormit et plongea dans un rêve radieux où elle vit Saint Nicolas s'approcher de An-An, lui imposer sa main douce sur le genou et le guérir. Elle s'éveilla de ce rêve certaine que c'était arrivé!

Le lendemain matin, le docteur était dans le couloir et parlait gravement à la mère qui pleurait sans bruit. Il pénétra enfin dans la chambre du petit garçon et Chun Yi se cacha dans le couloir pour attendre, attendre... de longues minutes qui duraient comme de longues heures. Enfin le docteur sortit de sa chambre. Il avait l'air à la fois réjoui et aussi perplexe. Il annonça bien haut qu'il y avait eu sûrement un miracle qui avait eu lieu dans cette maison, car le genou de An-An semblait presque normal pour ne pas dire guéri.

En fait, la guérison fut reconnue comme totale et complète en quelques jours et ceci sans la moindre explication possible si ce n'est par les prières secrètes dont Chun Yi ne parla jamais.

La nounou russe voyant la petite Chun Yi radieuse bien qu'épuisée par ses longues veillées de prières l'emmena en secret, quelques jours plus tard, dans un lieu consacré à Saint Nicolas.

C'était une petite chapelle construite dans la gare même de Harbin en remerciement d'un miracle attribué à Saint Nicolas.

Mrs Yinchuan poursuivit son récit émouvant et nous raconta comment une petite fille qui avait échappé à l'attention de ses parents faisant leurs adieux s'était retrouvée sur les rails ; et comment elle fut sauvée par un monsieur mystérieux à barbe blanche. Le saint homme la souleva juste avant le passage de la locomotive qui allait l'écraser. La description qu'en fit la petite miraculée ne laissa pas de doute ; il ne s'agissait bien de Saint Nicolas car personne d'autre que la petite ne vit cet homme.

En reconnaissance de la guérison miraculeuse de son frère, Mrs Yinchuan devint catholique. Mais ce qui m'enchanta surtout, c'est la lumière dans les yeux de mon professeur quand elle nous parla de sa foi en Saint Nicolas et en Dieu. Je ne pouvais pas douter qu'elle avait bien parlé au Ciel et qu'elle avait été entendue !!