jeudi 26 mars 2009

la boule magique

La boule magique

Il est vrai qu'il était impossible de prévoir la crue de la Cagne qui pouvait signer la perte définitive de ma boule de cristal. Cette perte était symboliquement lourde et je m'interrogeais sur ses raisons profondes.

Au commencement de cette histoire, il y eut l'idée qu'il me fallait, après son achat, purifier cette boule de cristal avant qu'elle ne me serve de miroir magique. Cette idée m'était venue dans un songe, une nuit de pleine lune. Et comme j'entretiens depuis quelques années un lien de fraternité avec l'esprit de cette rivière, je me dis que ses eaux seraient les plus propices à cette purification rituelle.

Quand je descendis vers la rivière, je regardai le paysage autour de moi et jouissais de sa beauté et de l'ordre qui émanait de cette montagne proche de la Côte d'Azur. Tout était paix et harmonie ici et c'est dans ce lieu béni des dieux que je m'octroyais le luxe du temps pour écrire des petites histoires murmurées à mon oreille par mon ange. A chaque promenade, j'apportais des petits trésors comme présents à notre Mère Nature et pour la Cagne en particulier, c'était de merveilleuses billes irisées de toutes les couleurs que j'offrais comme remerciement et hommage à l'esprit des eaux, à l'ondine de la rivière.

Il n'est pas besoin d'avoir été élevé aux Indes, en Afrique, en Asie ou en Australie pour vivre naturellement un chamanisme animisme de bon aloi. Chez moi, c'est simplement ma nature profonde qui parle depuis toujours et je fais cohabiter sans trop de conflit une femme cartésienne analytique avec la magicienne tarologue astrologue bobologue éprise de signes et sensible aux messages des mondes spirituels.

Ce jour-là, je descendais par les champs voir la Cagne. Armée de mon baton magique à tête de serpent et chargée du sac à dos contenant tout mon nécessaire, je passais par cette belle campagne, la chienne Lassie, folle de joie, gambadant à mes côtés. Les eaux de la petite rivière étaient claires et je m'assis sur sa rive dans un coude, me mettant à l'abri des regards des gens du village puis je déployais sur la couverture tous mes trésors : une pochette en velours contenant des pierres semi-précieuses, le couteau magique à manche blanc, la petite flasque en étain remplie d'un alcool exotique et une barre de chocolat.

Je m'installais bien confortablement et ôtais mes bagues. Je les mis avec les cristaux dans un petit bassin naturel de la rivière. Tous ensemble composaient ainsi un joli tableau de couleurs et de lumières dansantes et je m'enfonçais doucement dans une rêverie méditative, écoutant les eaux de la Cagne, essayant de capter un message, une idée inspirée, un petit signe. Le soleil dansait dans le remous transparent de l'eau qui coulait m'entrainant progressivement vers un autre monde, mon esprit vagabondant avec les ondines du lieu et jouant à un jeu secret dans cet univers impalpable et indicible. C'étaient de longs et délicieux moments où se manifestait chez moi comme une capacité de dédoublement, restant dans le corps physique sur le bord de la rivière mais flottant en même temps en esprit ailleurs dans un monde où je faisais commerce avec les divinités invisibles de la nature.

Soudain me vint l'idée pressante, comme une injonction, de confier ma boule de cristal aux eaux de la Cagne pour sept jours. Bien entendu, la femme cartésienne en moi protesta, trouva cette idée absurde ou tout au moins risquée. Des chasseurs ou des promeneurs de toute sorte passaient par cete endroit de la rivière pour utiliser un petit pont de pierres entassées permettant l'accès à l'autre rive vers d'autres champs. Mais l'idée de laisser la boule dans la rivière était impérieuse ; il fallait que je fasse le test de faire confiance à l'esprit de la rivière et que je lui prête en quelque sorte cette boule de cristal récemment acquise. C'était à la fois un jeu, un défi et un rituel initiatique.

Je dégustais pensivement ma barre de chocolat, m'autorisais une rasade de cette douce liqueur dans la flasque d'étain offerte par Sophie et en final je décidais d'obéir à cette injonction venue d'ailleurs. Je repris aux eaux de la rivière mes bagues, le couteau et les cristaux purifiés et après une dernière prière à la Cagne, je lui confiais pour sept jours ma boule de cristal.

Bien mal m'en pris car dans la semaine qui suivit, de violents orages de montagne amenèrent le débordement des eaux boueuses de la Cagne sur tous les champs alentour.

Qaund je revins sur les lieux, au spectacle que je vis, je compris que la chance n'était pas de mon côté. Il y avait tellement de branches emmêlées à des herbes arrachées que je ne pouvais même plus reconnaitre l'endroit exact où j'avais déposé ma boule. Les grosses pierres avaient complètement changé de place, charriées par la violence de l'eau furieuse. Le petit pont naturel n'existait plus et il n'en restait pas la moindre trace. Sans les arbres en place, j'aurais perdu tout point de repère, les bords de la rivière ayant été complètement remodelés par la boue.

Sans conviction, j'explorais avec précaution cette ère de paix à présent dévastée par la boue et encombrée de branches torturées ; et surtout je cherchais la leçon à tirer de cette aventure. D'un côté, je pouvais accepter que la Cagne garde ma boule pour elle et l'emmène à la fin vers la mer proche. En tout cas, je préferais cela à l'idée qu'elle aurait été trouvée et prise par quelqu'un de passage. Mais de l'autre côté, c'était dur de lâcher. J'avais certes pris le risque de la perdre mais les circonstances me forçaient à un don que je n'avais pas vraiment anticipé. Comme toujours, je cherchais le sens caché de cette histoire, une révélation ou une leçon et malgré l'évidence de sa disparition, je continuais à laisser mon regard errer à la recherche du cristal.

Soudain, mes yeux fixèrent tout à coup une forme transparente qui effleurait à peine de la boue juste à mes pieds ; je mis la main vers cette chose étrange et extrayais de l'eau brune... ma boule de cristal !! Elle était là, au creux de ma man, à peine salie et tout à fait intacte !

Par quel mystère cette crue qui avait bousculé arbres, branches et pierres avec sauvagerie avait-elle sauvegardé de ce déluge ma boule de cristal demeuréeen place ou presque, dans cet endroit devenu entre temps méconnaissable. En tout cas, j'y vis le clin d'oeil aimant de la deva (ange/esprit) de la rivière et emportais, folle de joie, la boule chargée de ce message d'amour et de complicité !!