jeudi 28 mai 2009

LES GNOMES

LES GNOMES



J'ai vu un gnome quand j'étais gamine : il était de petite taille, brunâtre et sa forme, bien que rappelant celle d'un humain, n'était pas celle d'un homme. Il y avait autour de lui comme un halo de chaleur qui rendait vibrants et flous les contours de sa silhouette. J'étais dans un landier au bord de la falaise sur la Côte sauvage de la belle Bretagne et j'étais en route pour apporter son déjeuner à mon papa qui pêchait sur son rocher : un sandwhich aux rillettes, une gourde d'eau avec un peu de sirop de citron, un morceau de camembert et une banane.



Quand je vis cette forme accroupie dans la lande, je restai pétrifiée et sans souffle devant cette présence qui me tournait le dos. Il bougeait quelque chose que je ne voyais pas et creusait, me sembla-t-il, la terre en cet endroit. Très vite, il dut sentir ma présence, fit une pirouette extraordinairement rapide et disparut sur le champ.



C'est parce qu'il se volatilisa littéralement que je compris qu'il n'était pas un être du monde ordinaire et prenant mes jambes à mon cou, encore tremblante de cette étrange apparition, je courus de toute la force de mes petites jambes vers la maison, oubliant du coup le déjeuner de papa.



Quand je racontai avec mes mots d'enfant cette incroyable rencontre, maman la mit sur le compte de mon imagination débordante et elle calma ma panique en tentant de me dire que j'avais rêvé ou bien que c'était un nain qui avait pris peur de moi. Papa, lui, me parla plus tard dans la soirée des korrigans, esprits qui courent sur la lande dans les pays celtes et il enflamma mon imaginaire de formes nouvelles : les ondines et les sylphides qui peuplèrent mes rêves pendant longtemps.



Ce n'est qu'autour de ma quarantaine, alors que je me réfugiais en fin de semaine dans les montagnes proches de Vence, que je m'intéressais à nouveau aux esprits de la Terre.



Très imprégnée par la culture spirituelle et magique des Amérindiens, j'avais acquis aux USA, au hasard de mes longues visites dans les librairies ésotériques, un ouvrage sur le chamanisme. Ce livre proposait de créer sa propre Roue-Medecine et de rentrer en contact par des méditations précises avec les esprits de la nature. Méditation avec un arbre ou bien un cristal ; tout cela m'enchantait et me ramenait à une vision animiste et spirituelle du monde qui faisait en moi un écho profond.



Communiquer avec un arbre ne fut pas trop difficile : je les ai toujours regardé comme des entités à part entière et non comme de simples végétaux évolués. Je fis donc de multiples échanges avec eux et j'y trouvai un plaisir mystérieux et indéfinissable. C'était comme si l'âme du monde battait à nouveau en moi grâce à ces rencontres avec un chêne, un pin, un pommier, un eucalyptus, un olivier.



Durant mon adolescence, c'était un marronnier faisant face à la fenêtre de ma chambre qui recevait mes confidences quand j'étais triste et frustrée de l'injustice et la méchanceté du monde. J'aimais aussi beaucoup le cèdre splendide du Parc Richelieu, plusieurs fois centenaire, pas loin de notre immeuble.



Je repris donc dans ces montagnes l'habitude de saluer les arbres, de leur parler à voix haute, de caresser leur écorce tiède et rugueuse. Petit à petit, je repris contact avec ma nature de magicienne et finis par moins ressentir le vide laissé par le deuil de ma dernière liaison illusoire avec un chéri au coeur sec.



Méditer avec les pierre m'enchanta encore plus. Je me procurai une belle collection de pierres semi-précieuses que je choisis selon leur aspect, leur couleur et surtout leurs vertus thérapeutiques. A chaque chakra, sa couleur et ses cristaux en résonance et je jouais comme une apprentie sorcière avec ces beautés pures et naturelles.



Sur le plateau du Col de Vence, au hasard de mes promenades, j'explorais les roches karstiques dites du Village Nègre et restais fascinée par l'étrange tellurisme de ce lieu assez connu pour ses atterrissages et apparitions d'engins extra-terrestres. A force de balades solo dans ce lieu mystérieux et magnétique, je découvris un cercle naturel de roches et j'y cachais une Roue-Medecine propre à mes méditations : pierre jaune à l'Est, Pierre rouge au Sud, noire à l'Ouest et blanche au Nord.



Et dans ce cercle, je finis par reconnaitre une roche-mère accotée à une roche-père. Ce couple de géants pétrifiés dominait ce peuple tellurique et je restais de longs moments à les contempler jusqu'à ce qu'ils livrent leur différents visages. Chez la roche-mère, je découvris une égyptienne de profil, une femme-guerrière, une maman souriante et une reine rêveuse morte de mal d'amour. Quant à la roche-père, elle recélait un chevalier du temps des Croisades, un lutin souriant, un indien prostré dans le Monde du Rêve et un moine. Il suffit de les aimer et de croire pour que les êtres du monde minéral vous révèlent quelques unes de leurs faces cachées.



Aussi je pris grand plaisir à parcourir ce plateau aride de pierres, de caillasses et blocs karstiques et j'y puisais une nourriture pour l'âme et le coeur bien au-delà de ce que m'offrent souvent les humains bien souvent vampiriques.



Le temps passa et mon deuil amoureux se termina ; je recouvrais ma vitalité, ma joie de vivre, ma curiosité et une santé plus florissante. A chacune de mes visites à mon cercle devenu sacré, j'amenais un présent sous forme de billes irisées, de cristaux en quartz rose ou de carrés de sucre dont les esprits de la Terre raffolent.



Dans cet échange fraternel et magique, je trouvais mon compte de sérénité, de bonheur et une certaine forme de plénitude que seules les pierres peuvent me donner.



Mais comme on n'abandonne par facilement son cerveau cartésien matérialiste qui est notre allégeance aux maître de ce bas monde, je nomme Satan, une petite voix un rien diabolique me susurra un jour que tout cela n'avait aucun sens et que je n'avais pas la moindre preuve que les esprits de la Terre, s'ils existaient vraiment, communiquaient avec moi dans mes rituels.



L'ennemi le plus puissant et le plus vil est toujours intérieur : personne ne peut vous faire ce qu'une certaine forme de votre propre mental peut vous faire. Ce poison qu'on appelle rationalité ligote nos élans mystiques, paralyse nos efforts de transcendance, diminue notre accès à la félicité, sabote toute magie, pourrit nos prières et nous rejette dans la pauvreté et le désespoir d'un monde de matière inanimée et morte où nous végétons dans un matérialisme qui détruit l'âme.



Je vous le dis, l'ennemi intérieur que j'avais tenu à l'écart trop longtemps, se vengea. Sous son influence pernicieuse, il me fallait à présent une preuve qu'il y avait bien un contact entre moi et les esprit de la nature. Cette méchante pensée prit de l'ampleur et introduisit un doute caustique sur la magie de mes rencontres avec les esprits de la terre. Finalement, j'allais moins souvent méditer dans mon cercle sacré et m'attristais du vide intérieur qui s'installa en moi.



Ce fut un rêve, un songe inspiré qui me rendit à la magie du monde spirituel. Un après-midi glacé où je me résignais à une sieste tant le froid dehors était mordant, je plongeais dans le monde astral et laissais mon corps physique au chaud au creux du lit de ma gentille caravane.



Avec mon corps de rêve, je marchais à présent sur une plage un peu morne dans une bizarre lumière rosée et je regardais avec attention ce sable si blanc que je foulais avec mes pieds nus. C'était si moelleux et tendre que j'avais un immense plaisir à marcher ainsi, seule dans cet endroit isolé et empli de présences invisibles.



Tout à coup, m'apparut l'entrée d'une grotte proche de la mer, et moi, si peureuse des endroits clos, j'y pénétrai sans hésitation et progressai dans un goulet sombre dont je sentais qu'il menait vers un endroit secret que je me devais de découvrir. Puis la lumière revint et j'écarquillais mes yeux sur la vision d'une immense caverne où régnait, venue de nulle part et de partout en même temps, une lumière rose accompagnée d'un douce musique. J'étais comme à l'intérieur d'un cristal géant et toutes les parois de la grotte n'étaient que formation de cristal clair. Au sol, mes pieds avançaient sur un tapis de cristaux magnifiques, taillés de diverses façons. Curieusement, leurs arêtes tranchantes ne me blessaient pas les pieds. Je sentis une injonction qui me poussa à ramasser ces cristaux que je foulais ; quelqu'un me disait que "c'est tout pour toi" et que je pouvais y puiser à volonté.



Et c'est ce que je fis, toute à la joie de ramener ces trésors de la Terre pour mes amis, mes élèves, mes patients. Je remplissais mes poches de ces merveilleuses pierres de lumière avec la certitude que c'était non seulement permis mais voulu par ces présences bienveillantes et invisibles qui peuplaient cette grotte d'Ali Baba et qui s'amusaient de mon émerveillement enfantin.



La sonnerie de mon réveil m'arracha sans ambages à ce monde souterrain mystérieux ; je cherchais à tâtons quelques secondes les cristaux recueillis tant leur contact avait été tangible et palpable. Je revins de cette visite dans les replis d'un univers caché avec la certitude que cette offrande de cristaux était la preuve de la bienveillance des esprits de la Terre à l'égard d ma petite personne.



Depuis je perpétue en toute quiétude mon culte discret au monde des esprits de la nature et je garde en mon coeur le trésor de ce partage sacré avec l'âme de la Terre.

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